Quel livre incroyable !
Et surtout, comment en parler,
mettre les mots sur ce qui m’a tant plu…
Ce livre est un roman sur
l’identité, sur le fait d’être un immigré dans un pays, et de ne pas réussir à
en faire partie malgré tous ses efforts pour s’intégrer. Abbas, le père du
narrateur a une identité plurielle. D’origine tunisienne, il parle un mélange
de français, d’anglais, d’arabe et d’un suédois de cuisine. Il crée des mots,
comme il crée des histoires et parle le « khemirien ». A l’image de
son héros, Jonas Hassen Khemiri joue avec les mots, les triture, s’en amuse. Malheureusement,
ces mots sont à la base suédois, et traduire un tel roman signifie forcément
passer à côté de certaines subtilités. Pourtant, il faut reconnaitre le travail
exceptionnel de la traductrice Aude Pasquier, qui se sort à merveille de cette
tâche difficile.
Khemiri crée des personnages
tellement réels qu’ils en sont presque palpables, avec leurs qualités, leurs
défauts et leurs contradictions. Il y a Abbas, le père, ce personnage
extraordinaire, plein de rêves. Il y a Jonas, le fils, avec son admiration sans
borne pour son paternel, et son imagination débordante. Puis, il y a Kadir, le
meilleur ami d’Abbas, avec qui Jonas correspond. Lui aussi est plein
d’admiration pour Abbas, malgré les hauts et les bas de leur relation, et le
silence qui s’est instauré entre eux depuis dix ans. A eux deux, Jonas et Kadir
rassemblent leurs souvenirs pour reconstituer la vie d’Abbas. Les
contradictions entre leurs deux versions font souvent sourire, et soulignent à
merveille la subjectivité des souvenirs : quand le temps passe, on
sélectionne les événements, on les déforme pour faire d’eux ce qui nous
arrange.
C’est un roman qui parle de la
Suède, au-delà des clichés imposés par les polars qui ont la côte chez nous. Il
y a ces rues familières de Stockholm, les parcs et les ponts. Il y a les
bouteilles consignées et les céréales Eldorado. Autant de petits détails qui
m’ont fait sourire, en me rappelant la vie dans ce pays. Mais il y a aussi ces
choses moins connues : le racisme d’un pays qui, loin d’être un modèle
comme on se plait à le montrer en France, a eu ses propres problèmes avec
l’intégration de ses immigrés. Et même les étrangers abattus dans la rue par un
ou des inconnus, alors que la propagande de l’extrême-droite battait son plein
dans les années 1990.
Abbas et son fils sont confrontés
chaque jour au racisme et réagissent chacun à leur façon. Après avoir rechigné
à apprendre le suédois, le père renonce à son identité, pour s’intégrer dans la
société suédoise. Il ne parle plus sa langue merveilleuse, mais un suédois qui
provoque pourtant des sourires sarcastiques lorsqu’il fait encore parfois une
faute. Il « suédise » son nom pour son travail et renonce à ses rêves
de marcher dans les pas de Robert Capa, le célèbre photographe. A la place, il
prend en photo des chiens dans le sud de Stockholm et perd peu à peu sa joie de
vivre. Pour ne pas finir comme lui, un « traitre », son fils Jonas se
radicalise, et lutte à sa façon contre les idées extrémistes.
Il n’y a pas de happy end dans
cette histoire. Et c’est tant mieux, car dans la vie non plus il n’y a pas de
happy end.
Il y a par contre un livre qui
fait rire, qui émeut, avec des personnages attachants, qu’on a envie de suivre et
d’aimer, malgré leurs défauts. Ce roman est à lire, que vous soyez
particulièrement intéressé par la Suède ou pas !
2 commentaires:
je n'en ai jamais entendu parler, mais vu comment tu le décrit, ça m'a bien donné envie de le lire !
Oui, il est vraiment bien !
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