mardi 4 décembre 2012

Home, Toni Morrison


Toni Morrison fait partie de ces auteurs dont le nom surgit souvent au détour d’une conversation littéraire, et qui provoque un peu d’embarras, car on a deux choix : se taire, ou le dire : non je n’ai jamais lu Toni Morrison. De l’embarras car en plus cela fait des années que je me dis qu’il faut que je découvre cette auteur.

A l'occasion du Festival America, sa venue a déchainé les foules et j'ai été incapable d'assister à ses conférences. Le dimanche soir, alors que je rentrais et que les rues étaient plus calmes, j'ai soudain croisé un groupe de personnes et l'ai vue. Calme et grave assise dans son fauteuil, elle a croisé mon regard et il était si profond que cet instant m'a marquée... Si je raconte cela, c'est que j'ai l'impression que ce regard m'est resté pendant ma lecture.

Les matchs de la rentrée littéraire de Price Minister 2012 m’ont permis d’enfin me lancer et lire Home. Peut-être était-ce une mauvaise idée, de commencer Morrison par ce titre. Je ne sais pas, mais à y réfléchir, je sens comme un quelque chose qui m’échappe et que je trouverai sans doute dans ses autres romans, comme une clé de compréhension de son oeuvre.



Home s'ouvre sur la fuite de Frank. D'où il vient, on ne sait pas ; sa destionation finale est tout aussi floue. Un instant, le récit parait hors du temps et le doute arrive : on pensait lire un roman évoquant l'Amérique ségrégationniste, les années 50. Et s'il s'agissait de science-fiction, d'une société qui n'a jamais existé ? La réalité dépasse la fiction pour ceux qui ne l'ont pas connue.
Puis l'on découvre la vie de Frank, qui a combattu en Corée et revient, traversant l'Amérique pour sauver sa soeur Cee. 

Au début, j'étais dubitative : l'écriture à la fois âpre et douce de Toni Morrison permettait aux pages de filer, mais j'avais l'impression de rester à la surface, de ne pas comprendre les motivations des personnages - et surtout celles de l'auteur. Pourquoi choisit-elle de nous raconter cette histoire, de nous présenter ces personnages ? 

Si je devais résumer une bonne partie de ma lecture (les deux tiers) en un mot, je choisirais "flou". Chaque personnage est hanté par ses fantômes, les humains qu'il a côtoyés, aimés, son passé.

Pourtant, plus ma lecture a progressé, plus je l'ai appréciée.
Les dernières pages sont très intéressantes, apportant avec subtilité une douceur à ce récit assez dur.

La violence - qu'elle soit directe et connue dans les souvenirs de guerre de Frank comme dissimulée dans une petite ville des Etats-Unis - est présente, et pourtant se dégage du roman une grande sérénité. Comme si les personnages de Morrison étaient assez sages pour comprendre que cette violence fait partie de la vie et qu'il faut l'accepter. 

Comme si l'on sentait derrière ces quelque 150 pages le message que Toni Morrison souhaite encore apporter, après tant de romans considérés aujourd'hui comme des chefs d'oeuvre.
 

Champ de coton

"Le son provenait du bas d'un petit escalier qui s'achevait devant une porte à moitié ouverte. Des voix approbatrices soulignaient le cri de l'instrument et si quelque chose pouvait refléter l'humeur de Frank, c'était cette note. Il entra. Après Hiroshima, les musiciens avaient compris aussi vite que quiconque que la bombe de Truman avait tout changé et que seuls le scat et le be-bop parvenaient à dire comment."

Une ambiance âpre et mélancolique qui correspond bien à celle de la chanson tristement célèbre de Billie Holiday : Strange Fruit.
Le récit du vieil homme battu à mort puis ligoté au plus vieux magnolia du comté lui fait écho :
“Scent of magnolia, sweet and fresh/ Then the sudden smell of burning flesh”




J'ai lu ce livre via les Matchs de la Rentrée littéraire de Prime Minister, que je remercie ainsi que les éditions Christian Bourgeois.

Je ne donne habituellement pas de note aux livres, mais puisque l'exercice l'oblige, je donnerais 15/20 à Home.

Editions Christian Bourgeois
2012, 153 pages, 17€

11 commentaires:

Syl. a dit…

Un livre que je vais offrir pour ce Noël. Puis noté dans ma liste également !

Philisine Cave a dit…

Je lui aurais mis 20/20 ! bises

jennifer a dit…

Mais... ça est tu es une blogueuse influence et on t'offre des livres ? :D (j'ai bien compris ?)
Et ben, je n'ai jamais lu du Toni Morrison, je m'y pencherai quand j'arrêterai de lire des bouquins de droit à tout va ^^.

MyaRosa a dit…

Très émouvant ton billet. Je n'ai encore jamais lu cet auteur mais ce titre me tente beaucoup.

Touloulou a dit…

Syl : un livre à lire, mais peut-être après ses autres romans, comme Beloved ?
Philisine : Peut-être aurais-je du mettre plus... Mmmh voilà pourquoi je ne mets pas de note :)

jenn : ahahah tu me fais rire. Pour les matchs de la rentrée littéraire, il suffisait d'envoyer un mail en faisant un choix parmi 8 proposés. Donc influente, non pas trop... ;)
Tu devrais, le droit c'est bien mais la littérature aussi !

Mya : Un livre qui m'a touchée en effet, j'ai essayé de le retranscrire dans mon billet...
Je te conseille de découvrir cette auteure !

maggie a dit…

j'ai beaucoup aimé ce roman : mais j'aurai dit au contraire qu'il y avait une écriture très précise du quotidien même si effectivement les événements restent plus flou... Bien des mystères ouvrent ce roman... Il est magnifique !

Touloulou a dit…

C'est vrai, le quotidien est décrit de façon précise, mais ce sont les choses derrière qui m'ont parues floues... Pour moi, ce quotidien un peu vide de sens cachait quelque chose !

Anonyme a dit…

moi aussi j'étais un peu dans le flou au début et il faut quelques pages pour comprendre, mais écrire tout cela ensuite en si peu de pages c'est de l'art, et j'ai bien envie de lire d'autres romans de Toni Morrison.

Touloulou a dit…

George : J'ai également envie de lire ses autres romans ! Beloved est dans ma pal...

Elodie a dit…

Moi aussi j'ai adoré ce livre et je lui ai attribué la même note que toi. Malheureusement, il n'a pas été très bien classé dans le top de Priceminister je trouve quel dommage.
En tout cela m'a donné envie de lire d'autres livres de l'auteur ^_^

evalire a dit…

J'ai beaucoup aimé ce livre mais comme toi j'ai mis du temps à rentrer dedans,il ne se laisse pas dévoiler facilement.